Corse Matin du 16 novembre 2018, François Tatti : « Il faut prendre des décisions et s’y tenir »

Consultez l’intégralité de mon interview à Corse Matin par Pierre Negrel.

Président de la communauté d’agglomération de Bastia et du Syndicat de valorisation des déchets, François Tatti est au coeur de bien des dossiers chauds du moment. Pour lui, la Corse souffre d’un manque de constance dans la conduite des projets.

Le centre d’enfouissement de toujours bloqué malgré une réquisition préfectorale, les choses ne s’arrangent pas sur le front des ordures…

Je ne sais pas si on peut aborder la question des déchets à travers le seul problème de Prunelli mais il est certain que la situation est compliquée. En cumulant Prunelli et Viggianello, il ne reste plus aujourd’hui que deux ans de stockage. Or, nous savons que pour mettre en oeuvre le plan élaboré par l’assemblée de Corse, il faudra au moins trois ou quatre ans. En attendant, il faut donc prendre des mesures transitoires, à savoir exporter les déchets sur le Continent. Si les élus de Prunelli sont aujourd’hui inquiets, je crois que c’est en grande partie parce qu’ils attendent des réponses concrètes sur la façon dont va être gérée cette période transitoire et que pour l’instant, ces réponses ne leur ont pas été apportées.

Vous êtes à la tête du Syvadec depuis 10 ans. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour qu’on en soit arrivé là ?

En 2008, l’assemblée de Corse a remis en cause le principe de l’incinération. Nous avons donc dû travailler pour créer du stockage.

En 2015, les sites de stockage existants ou en projet ont été saturés ou abandonnés. Et aujourd’hui, c’est le principe même du stockage qui est contesté. Résultat : on se retrouve sans solution à court terme.

Ne faudrait-il pas, dans ces conditions, repenser à l’incinération ?

L’assemblée de Corse a prévu une étude sur l’incinération et un débat, c’est une bonne chose. Cela dit, je ne pense pas que les choix techniques soient le noeud du problème. Ce qui est important, c’est de prendre les décisions et de s’y tenir. Il faut les mettre en oeuvre sans les changer tous les 5 ou 10 ans comme nous l’avons fait jusqu’ici. Ce qui manque en Corse aujourd’hui, c’est la capacité à mettre en oeuvre les décisions prises.

Mais vous, qu’en pensez-vous ?

À titre personnel, je pense que la meilleure solution réside dans la combinaison des différentes techniques de traitement des déchets. C’est en tout cas ce qui a été mis en pratique par tous les territoires qui ont réussi. J’ajoute que les solutions techniques n’ont jamais empêché le développé du tri, bien au contraire. On le vérifie en Sardaigne comme sur le Continent dans les régions en pointe.

Ce plan élaboré par l’assemblée de Corse, que vous allez devoir mettre en oeuvre, comment le jugez-vous ?

Il y a une semaine, le bureau du Syvadec s’est réuni et l’a examiné. Nous avons relevé des éléments positifs mais nous avons aussi décidé d’écrire au préfet de Corse et au Président de l’Exécutif pour leur demander des réponses sur des points précis.

À savoir…

Les projections effectuées sur la progression du tri nous semblent trop optimistes. Aussi avons-nous demandé qu’il y ait un partage avec les projections que nous avons faites de notre côté avec les élus de terrain. D’autre part, nous avons demandé à la Cdc de valider notre évaluation de la quantité de déchets qui devront être transportés sur le Continent (entre 50 et 60 000 tonnes par an). Nous avons besoin, pour lancer l’appel d’offres, que cette option stratégique soit partagée par les élus territoriaux. Enfin, nous avons demandé qui va payer le surcoût lié à l’exportation. Pour nous, il est impensable que les élus locaux et les contribuables soient pénalisés pour une situation dont ils ne sont pas responsables.

L’objectif de 60 % de tri d’ici trois ans, affiché par le plan, vous semble-t-il réalisable ?

Nous savons que tous les territoires qui ont développé le tri ont mis entre 10 et 15 ans pour atteindre un ratio de 60 %. Or, en Corse, les intercommunalités ne s’y sont véritablement attelées que depuis la loi NOTRe, il y a trois ans.

Les intercommunalités auront-elles les moyens de mettre en oeuvre une telle politique ?

Les intercommunalités veulent de l’ambition mais elles réclament aussi du réalisme. Pour prendre en charge le tri des déchets, elles attendent d’être aidées.

Parlons de la Communauté d’agglomération de Bastia (Cab), que vous présidez. On a beaucoup parlé de dysfonctionnements liés à vos désaccords avec la majorité bastiaise. Cette institution fonctionne-t-elle normalement ?

C’est une institution qui a travaillé avec peu de moyens et dans un contexte politique parfois tendu. Nous avons toujours laissé la porte ouverte à ceux qui voulaient travailler et cela nous a permis de réussir collectivement. J’en suis fier.

Que mettez-vous à l’actif de ce bilan ?

Nous avons créé la régie Acqua publica, qui a réussi à garantir la stabilité du prix et de la qualité de l’eau. Nous avons beaucoup fait en matière de collecte des déchets ménagers pour moderniser nos infrastructures et atteindre un taux de tri de 38 %. Dans quelques jours, toutes les maisons individuelles de la Cab vont d’ailleurs avoir un point de collecte au porte-à-porte pour les emballages, biodéchets et déchets résiduels. En matière de logement, nous avons tenu nos engagements d’équité et de transparence. Enfin, nous avons élaboré un projet ambitieux en direction d’un monde qui s’était un peu senti délaissé : celui du sport amateur.

On attend toujours votre plan global de déplacement…

Il va être validé au début de l’année prochaine. S’il a pris du temps, c’est notamment parce que nous avons pris le parti d’y associer les Chemins de fer de la Corse et toutes les communes situées au sud de Bastia, qui ne font pourtant pas partie de la Cab. C’est un document de référence qui va servir pour les quinze années à venir et qui, soulignons-le, laisse aujourd’hui ouverte la question de la gratuité des transports collectifs.

Les intérêts de la ville de Bastia, dont vous êtes élu, sont-ils bien défendus dans la sphère communautaire ?

Peut-il y avoir des intérêts communautaires différents de ceux de Bastia et des communes membres de l’agglomération ? Ma réponse est non. En tant que président, mon rôle est justement de faire prévaloir les intérêts de tous. Aujourd’hui, la ville de Bastia a besoin d’une Cab forte car celle-ci porte des problématiques de service public et de développement économique auxquelles l’avenir de Bastia est intimement lié. Cela dit, il me semble urgent de revoir le pacte fiscal et financier qui lie la communauté d’agglomération à ses communes.

Parlons à présent d’aménagement commercial. Certains projets de grandes surfaces font aujourd’hui débat. Pensez-vous que cette tendance doit être refrénée ou encouragée ?

Aujourd’hui, nous avons un développement commercial non-organisé qui s’étend le long de la route territoriale ; un commerce en ligne qui se développe et donc un commerce traditionnel qui souffre, notamment dans les centres-villes. Refuser une nouvelle grande surface, comme l’a fait récemment la Commission départementale d’aménagement commercial à Lucciana, ne suffit pas.

Il faut organiser le commerce par le biais d’un plan supra communautaire. Faute de quoi, on continuera à laisser s’installer des enseignes sans définir une véritable ambition pour le territoire.

Demain, on annonce des blocages à plusieurs endroits de l’île ? Soutenez-vous le mouvement des « gilets jaunes » ?

Je comprends l’exaspération de la population face à cette hausse constante du coût de la vie et en particulier du carburant.

En Corse, je la comprends d’autant mieux que le pouvoir d’achat est très faible et qu’on a un monopole de l’approvisionnement en carburants qui fonctionne dans une totale opacité. Malgré une TVA moins forte, le prix du carburant est d’environ 8 % plus élevé. Il y a forcément un abus.

Que peuvent les élus insulaires ?

Je crois que nous autres, élus corses, avons le devoir de demander au Gouvernement de faire de la transparence et d’exiger une baisse des prix, y compris au besoin d’une loi bloquant ces prix, comme cela a été fait dans les DOM-TOM.

Sans être encarté à LREM, vous avez soutenu Emmanuel Macron au moment de la présidentielle. Êtes-vous toujours sur cette ligne ?

Chacun peut mesurer la difficulté de l’exercice auquel le Gouvernement est aujourd’hui confronté : transition écologique, pouvoir d’achat, lutte contre le chômage, résorption de la dette…

Le président est aujourd’hui dans une zone de turbulence mais je souhaite qu’il réussisse car, s’il échouait, la France pourrait prendre le chemin du populisme, comme l’Italie.

L’option qu’il a prise en matière institutionnelle vous satisfait-elle également ?

Lors de sa venue en Corse, le président de la République a été très clair. Il est allé loin dans l’accompagnement du mouvement de décentralisation mais il a aussi demandé aux élus corses d’assumer leurs responsabilités en mettant en place la collectivité unique et en s’attelant à résoudre les problèmes du quotidien, tâche pour laquelle ils ont aujourd’hui toutes les compétences nécessaires.

Ces questions institutionnelles ont beaucoup accaparé la majorité territoriale. Cela valait-il le coup selon vous ?

Quand on mesure le résultat de l’action de la majorité territoriale, on voit que les vrais problèmes sont ailleurs : au niveau du pouvoir d’achat, des transports maritimes, ou des grands travaux d’équipement…

Comment accepter, par exemple, les retards successifs sur le port de la Carbonite et ses 1 200 emplois directs lorsqu’on a quasiment 12 000 chômeurs en Haute-Corse ?

Voilà les vrais sujets sur lesquels les Corses attendent des réponses.

La gauche, à laquelle vous appartenez, sera-t-elle en mesure de refaire son retour à l’assemblée de Corse au prochain scrutin ?

En 2017, il était trop tôt pour réussir la refondation de la gauche via la création d’une liste forte. L’échec était encore trop frais et les difficultés encore trop nouvelles. Nous avons quand même beaucoup travaillé pour nous rapprocher. Tous les courants se sont parlé et je crois que c’est de bon augure pour la suite.

À dix-huit mois du scrutin, maintenez-vous que vous serez candidat aux prochaines municipales à Bastia ?

Nous sommes à dix-huit mois de l’élection et les Bastiais savent qu’ils peuvent compter sur moi. J’ai toujours le même objectif et la même ambition : faire gagner Bastia. Cela dit, ce qui me paraît essentiel aujourd’hui, c’est moins de réaffirmer une ambition personnelle que de construire et d’enraciner une union. « Rassemblez-vous ! », voilà ce que me disent les Bastiais quand je me promène. Et c’est à la réussite de cette union que je consacre aujourd’hui toutes mes forces.

Jean Zuccarelli est, semble-t-il, dans les mêmes dispositions d’esprit. Où en sont les discussions entre vous ?

Chacun a pu remarquer au conseil municipal, qu’il y a de moins en moins des oppositions municipales et de plus en plus une opposition municipale. Cela montre qu’il y a un travail qui est fait pour consolider cette unité. Les questions de personnes et d’organisation d’une liste viendront dans les prochains mois. L’important pour le moment, c’est que les Bastiais soient convaincus de la sincérité de notre démarche. Pour en revenir à votre question, je dirais qu’avec Jean Zuccarelli, nous travaillons ensemble mais que nous travaillons aussi avec tous les autres. Car pour réussir, il va falloir agréger d’autres forces politiques et d’autres personnalités.

Le Mouvement Corse Démocrate, que vous présidez, est-il assez fort pour créer une dynamique ?

Le 24 novembre aura lieu une assemblée générale élargie du MCD. À l’occasion de ce moment d’échanges et de débats politiques, chacun pourra juger de la vitalité du mouvement.

Quel regard portez-vous sur le travail de la majorité municipale ?

Comme tous les Bastiais, je constate que la ville n’avance pas ; que la majorité n’a pas d’ambition ni de vision. Les seuls projets qui sortent sont des projets qui avaient été initiés sous l’ancienne mandature et que j’avais bien souvent portés – je pense notamment à la voie douce rebaptisée « Spassimare ». Mais en plus, ces projets sont souvent réduits dans leur ambition. C’est d’ailleurs la même chose pour les nouveaux programmes. Prenez le cas du dispositif « Coeur de Ville ».

À Ajaccio, il donne lieu à un programme ambitieux qui embrasse 80 hectares, tandis que Bastia n’a droit qu’à un projet réduit à l’hyper-centre, dans lequel on a même coupé l’avenue Émile-Sari en deux. À cela, il faut ajouter le fait que Bastia est devenu une ville inaudible politiquement. Résultat : les Bastiais vivent avec un sentiment de déclassement, de déclin ; avec l’idée que l’étoile de leur ville ne cesse de pâlir. Pour ma part, je considère que ce n’est pas une fatalité.

Que conviendrait-il de faire, selon vous ?

D’abord avoir une vision. La mienne s’appuie sur l’histoire et l’identité de cette ville. Bastia a toujours été une place forte économique et commerciale, tournée vers l’intérieur de l’île comme vers l’Italie et le Continent ; une ville fraternelle aussi, haut lieu de l’innovation sociale et culturelle. Il faut retrouver cette dynamique autour des idées d’ambition et de réconciliation. ./.. Bastia est né de la nécessité des échanges, elle a vocation à rester une ville ouverte qui cultive ses atouts, c’est là qu’est son identité.

Si c’était à refaire, referiez-vous l’union avec les nationalistes de 2014 ?

L’union de 2014 répondait à un besoin de renouveau qui s’est exprimé partout ailleurs en Corse. Les Bastiais, bien que très majoritairement républicains, l’ont validée car il y avait un élan et une dynamique citoyenne. Aujourd’hui, ils constatent qu’ils ont été trompés et que Bastia n’était qu’un marchepied pour certains. »

Par Pierre Negrel

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